«18h30, l’heure de sortir des comparutions immédiates du tribunal de Bobigny. L’heure où on ne peut que constater «une justice à deux vitesses, une justice de classe».
Un condensé de violence, de prévenus éreintés par les heures de garde à vue, les heures de dépôt, par toute une vie qui mène à dire au Président « je préfère être en cellule, au moins il y a de l’eau chaude », et « ça se passe mal en détention, vous savez. J’ai passé neuf heures au dépôt ». L’heure des images de celui dont le haut était tâché de sang, celui, en sueur, qui ne tenait pas debout et qui tremblait, celui qui a deux CDI, un pour la nuit et un pour le jour. L’heure où les mots «en situation précaire», répétés par le tribunal en qualification des dossiers de plusieurs prévenus, ont toute leur résonance».
Le rapport “Etude sur la comparution immédiate, procédure pourvoyeuse d’incarcération” a été rédigé dans le cadre de la clinique juridique EUCLID, à la demande de la Contrôleure Générale des Lieux de Privation de Liberté.
La procédure de comparution immédiate, prévue par les articles 395 et suivants du code de procédure pénale, a pour finalité de permettre un jugement “immédiat” de l’accusé, c’est-à-dire dans une temporalité particulièrement proche de la commission suspectée des
faits reprochés.
Cette procédure peut être motivée par une volonté de désobstruer les tribunaux judiciaires, ou de répondre à la problématique de la longueur des délais de jugement. Elle peut encore être motivée par la nécessité d’une réponse pénale rapide, ou à l’inverse par la simple
possibilité de jugement immédiat dès lors que les faits ne revêtiraient pas de complexité particulière et que l’ensemble des éléments nécessaires au jugement seraient réunis.
Pourtant, le caractère particulièrement rapide de la procédure entraîne, presque naturellement, des atteintes aux libertés et droits fondamentaux des personnes jugées. En effet, les délais ne permettent que difficilement de préparer une défense solide, les prévenus
comparaissent sans avoir bénéficié de temps de repos ou encore d’hygiène, la proximité du jugement avec la commission suspectée ne permet qu’un moindre recul et des enquêtes nécessairement expéditives, etc.
Par ailleurs, l’étude de la comparution immédiate ne peut s’effectuer qu’en y intégrant l’étude des procédures qui lui précèdent, et qui la succèdent, en ce qu’elles ont un impact direct sur le jugement d’une part, et sur le taux d’incarcération d’autre part.
Nous nous sommes ainsi intéressées à la garde à vue et à la décision de poursuivre, au défèrement, au procès, puis à l’enfermement, qu’il s’agisse de peine ou de détention provisoire.
Il ressort du rapport qu’il est possible de constater des violations aux droits substantiels et procéduraux à toutes les étapes de la procédure, ainsi qu’un taux d’incarcération particulièrement plus élevé en comparution immédiate.
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Le rapport a été rédigé sous la supervision de Céline Chassang, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’université de Nantes.
Zoé Monty est diplômée du Master 2 Systèmes juridiques et droits de l’homme – parcours théorie et analyse du droit, de l’université Paris Nanterre. Elle complète actuellement le Master 2 Journalisme bilingue de la Sorbonne Nouvelle.
Garance Cordonnier est diplômée du Master 2 droit européen de l’université Paris Nanterre. Elle est actuellement juriste en droit des étrangers.
Ghaya Bel Haj est diplômée Master 2 Systèmes juridiques et droits de l’homme – parcours théorie et analyse du droit, de l’université Paris Nanterre. Elle est actuellement élève-avocate.